La comtesse Greffulhe – L’ombre des Guermantes

téléchargement.jpg

 Une femme remarquable.

Une biographie qui ne l’est pas moins.  

Je vous l’affirme d’emblée, je suis saisie d’admiration pour Elisabeth Greffulhe et le travail colossal qu’a accompli l’historienne Laure Hillerin,  triant à bout de bras une montagne d’archives, traçant, à pointe de plume, un récit sobre, fluide, captivant …

Femme riche, cultivée et splendide,  la comtesse Greffuhle (1860-1952), née Princesse (belge)  de Caraman-Chimay règne en souveraine sur le Paris de la Belle Epoque.  Si elle doit sa fortune à son mariage avec le comte Henry Greffulhe, elle ne lui doit pas son bonheur conjugal. Sitôt marié, ce fils unique, pourri – gâté par sa Félicité de Maman, révèle le « pervers narcissique  » qui sévit en lui; le jaloux possessif aussi: s’il est fier de la beauté, de l’élégance de son épouse – délicieux trophée de sa réussite – il ne supporte à ses côtés qu’hommes d’âge très mûr. C’est plus sûr. 

La comtesse est fidèle pourtant et endurera le feu d’un amour platonique (avec le Prince Roffredo Caetani) et ceux des courroux maritaux, déployant une immense énergie créatrice à la peinture – elle a du talent –  à la culture – le salon Greffuhle est très prisé -aux mécénats scientifiques et musicaux. Elle soutiendra de la sorte Edouard Branly, Pierre et Marie Curie. En 1891, elle fonde la « Société des grandes auditions musicales de France » qui vise la promotion de musiciens méconnus.  La Société sera dissoute en 1913, à la veille de la Grande Guerre.

Une Grande Guerre qui la voit déployer ardeur diplomatique – aux côtés du Gouvernement en exil à Bordeaux – mais aussi couturière puisqu’elle crée de nouveaux uniformes adaptés à l’usage des Poilus.  Elle se rend dans les hôpitaux, à l’instar de la Reine Elisabeth de Belgique dont sa soeur, Ghislaine de Caraman-Chimay est dame d’honneur. Et puis, elle transforme Bois-Boudran, la propriété de chasse de sa belle-famille,  en centre de convalescence pour les blessés.

Passent la guerre… et la gloire

Les Années folles auront raison de sa suprématie. Elisabeth Greffulhe serait – injustement – passée aux oubliettes de la postérité si Marcel Proust, admirateur de la première heure –  » Je n’ai jamais vu une femme aussi belle » déclare -t-il en 1893 -n’avait fait de la comtesse, la clef de voûte de ll’édification de La Recherche.  Déclinée sous les traits de la duchesse de Guermantes mais aussi de sa cousine, princesse et –  déduction intéressante de Laure Hillerin-  d’Odette de Crécy, la comtesse sera quelque peu vexée de cette notoriété développée à son insu.  Vexée aussi  de ne pas avoir mesuré le génie de Marcel Proust, de son vivant.  En réaction, elle affirmera l’avoir « très peu connu« – les preuves du contraire pullulent – et guère lu : « (…) je m’embarrasse les pieds dans ses phrases. »

A ce double rendez-vous raté – l’homme et l’oeuvre – Laure Hillerin consacre des pages extraordinaires

D’une biographie qui ne l’est pas moins.

Elle offre sur la genèse de la Recherche, un éclairage fabuleux.

Gageons que nous y reviendrons.

Apolline Elter

La comtesse Greffulhe, L’ombre des Guermantes, Laure Hillerin, biographie, Ed. Flammarion, oct. 2014, 572 pp

  Billet de ferveur

AE : la famille de la comtesse vous a donné large accès à ses archives et donc à sa correspondance. Vous en publiez des extraits magnifiques dans l’ouvrage. La publierez-vous un jour  à part entière ?

Laure Hillerin :

Cette correspondance, quasi quotidienne durant les sept années qui se sont écoulées entre le mariage d’Elisabeth et la mort de sa mère, est en effet très émouvante et mériterait d’être publiée. Elle témoigne d’une relation d’une intensité et d’une qualité rares entre la mère et sa fille.  Toutes les deux étaient des épistolières pleines d’esprit, d’humour et de spontanéité, ce qui rend ces lettres extaordinairement vivantes. Chose exceptionnelle, nous avons les deux côtées de la correspondance, car chacune d’entre elles conservait soigneusement les lettres reçues ; Elisabeth récupéra donc à la mort de sa mère les missives qu’elle lui avait envoyées. Les archives recèlent également la correspondance entre Marie de Montesquiou et sa propre mère, également très intéressantes.

Peut-être m’attellerai-je un jour au travail de bénédictin que serait la publication de ces lettres — si Dieu me prête vie..