Janet

«  La fille d’un entrepreneur quaker de pompes funèbres, née dans l’Indiana, était-elle la mieux qualifiée pour devenir la correspondante, à Paris, d’un journal new-yorkais, léger et sophistiqué ? « 

La question comporte de multiples facettes ; réponse y est donnée dans la fascinante biographie que la journaliste Michèle Fitoussi,  ex-éditorialiste du magazine Elle,  consacre à son illustre consœur, Janet Flanner (1892-1978), célèbre plume des Letters from Paris envoyées pendant quelque cinquante années à la rédaction du New Yorker.

Débarquée à Paris en septembre 1922 avec sa compagne, l’écrivain Solita Solano, Janet se prend de passion pour la capitale française, s’intègre d’emblée  à la vie germanopratine, aux cercles et salons  actifs  de ses compatriotes, Ernest Hemingway,  Natalie Barney, Sylvie Beach, Gertrude Stein et festives compagnies, …

Elle participe, de la Ville Lumière,  au lancement – chaotique – du New Yorker en 1925 et s’y voit attribuer le pseudonyme de « Genêt », adopter le ton de « journalisme complice, intime où l’auteur et le lecteur se comprenait entre les lignes » prescrit par Harold Ross son fondateur.

« Pour dire peu, il fallait voir beaucoup. Elle sortait,  prenait l’autobus, traînait dans les librairies, les grands magasins, questionnait les vendeuses, les  serveurs, les chauffeurs de taxi. À la fin de la  journée, les pages de son carnet de notes étaient couvertes de sa large écriture anguleuse. Elle seule se  retrouvait dans ses hiéroglyphes et ses abréviations. » .

Succès et assurance croissant, «  Genêt » devient peu à peu la « première correspondante étrangère à influencer le contenu du New Yorker »

Il semble que la postérité l’ait un peu oubliée.

Le récit de Michèle Fitoussi propose  non seulement  au lecteur un portrait intime, vivant, de Janet et de ses années parisiennes d’entre-deux-guerres  et d’après 1945,  mais aussi  une approche passionnante du journalisme d’investigation.

Une lecture recommandée

Apolline Elter

Janet, Michèle Fitoussi, roman, Ed. JcLattès, septembre 2018, 430 pp

Billet de faveur.

AE :  « Janet Flanner a inventé le journalisme littéraire », affirmez-vous.

L’époque actuelle permet-elle encore le déploiement de pareille pointure ? En avons-nous les moyens financiers et de temps ?  Quand on songe que le portrait d’Hitler lui avait pris près d’un an de travail…

Michèle Fitoussi :: Aujourd’hui les journaux et les magazines exigent de leurs journalistes d’aller vite, sous la pression du numérique, mais pas seulement.  La course à l’information s’accélère, une actu en chasse une autre.  Faute de place et de moyens, une enquête doit se boucler rapidement, un portrait aussi. Et pourtant  le temps consacré à un article est une des clés de sa réussite. C’était le cas , en France, quand la presse écrite se portait bien. Si Tintin était Belge, Albert Londres, un des précurseurs de ce journalisme au long cours,  était Français ! Cependant, depuis une dizaine d’années, on assiste au retour de ce métier à l’ancienne, tel que le pratiquait Janet Flanner ( qui a aussi mis deux ans a écrire un portrait du maréchal Pétain) une  tel que le pratiquent toujours les journalistes du New Yorker, au Etats-Unis,  ou de Granta,  en Angleterre, pour ne citer que ces  deux prestigieux magazines. Avec les mooks, contraction de magazine et de books, on a vu réapparaitre le journalisme narratif où littérature et journalisme, souvent ennemis intimes,  se sont rapprochés,  tant  dans la façon de traiter les sujets, parfois comme de la fiction, que dans le temps consacré à l’enquête et à la narration. En France, une trentaine de ces objets hybrides tel XXI , leur chef de file, ont fait leur apparition. En Belgique 24 h 01, a tenu cinq ans avant de mettre récemment la clé sous la porte. Il me semble que ce journalisme là , avec ses difficultés et malgré le culte de l’immédiateté – ou peut-être grâce à lui – a encore de beaux jours devant lui. Du moins je l’espère !

NDLR 29 septembre: je vous engage à poursuivre cet interview du superbe entretien que La Grande Librairie consacre à Michèle Fitoussi: https://www.youtube.com/watch?v=8TvKImY2cDM

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